L'avenir est aux jardins vibrants, écologiques et... un peu moins domestiqués

Nos sociétés modernes évoluent constamment à la manière de nos jardins malgré leurs allures statiques. Vous admettrez que nous vivons actuellement des moments qui remettent en question nos modes de vie et nos valeurs. Pandémie, inéquités sociales, changements climatiques et bouleversements économiques nous forcent à se poser pour réaliser les impacts de nos choix et de nos gestes d'humains.

Et les espaces verts que sont les jardins et les parcs n'échappent pas à ce profond questionnement.


Évolution dans le monde des espaces verts

Ces dernières années, un mouvement prônant l'intégration d'espèces végétales indigènes dans les jardins privés et publics et une gestion différenciée* des espaces a tranquillement fait son chemin parmi les esprits. Les raisons pour accueillir davantage de naturel dans les espaces verts sont tantôt économiques (moins de tonte), tantôt écologiques (plus d'insectes bénéfiques, de faune ailée, de diversité d'espèces) tantôt esthétiques (la beauté des plantes aux allures champêtres ou sauvages est davantage appréciée). 

*« Principe de gestion qui conduit l'entretien des espaces à varier d'une gestion horticole de prestige (qui nécessite de fréquentes interventions) à une gestion plus naturelle et écologique, limitant l'entretien au strict minimum. » Les fondamentaux de la taille raisonnée des arbustes, P. Prieur, Ulmer, 2017.

La pandémie aura révélé que les jardinets, les parcs publics, les friches, les petits boisés ont une valeur immense qui était certes connue, mais sous-estimée. Ce sont des lieux où nous pouvons nous épanouir, nous ressourcer, admirer des êtres vivants, qu'ils soient animaux ou végétaux. Toutefois la qualité de ces lieux est inégale, car leur richesse dépend bien souvent de la façon que ces espaces ont été conçus puis aménagés et entretenus versus leur degré d'abandon. 


Jardin des Quatre-vents. Photo par Jasmine Kabuya Racine

Je me range du côté de ceux qui prônent l'accès universel à une diversité d'espaces verts ou naturels de proximité. Les grandes pelouses pour jouer et pique-niquer sont essentielles, mais les boisés et les friches sont des lieux qui nous connectent à la nature dans toutes ses dimensions et par des voies plus enrichissantes. De même, les cours paysagées petites ou grandes, sont des espaces où il est possible de recréer ces bulles de verdissement dont les vertus thérapeutiques abondent dans la littérature scientifique actuelle.

Mon jardin il y a quelques années à la fin de l'été. Anémone et aster.
Photo par Jasmine Kabuya Racine

Ainsi, en regard des bienfaits que peuvent apporter les espaces verts, il y a lieu de se demander si le jardin que vous voyez par votre fenêtre l'été tend vers ce qu'il doit être ou si sa véritable nature est plutôt réprimée. Réprimée par des idées acceptées que le jardin doit correspondre à une certaine norme centrée sur le sentiment du beau au détriment d'une nature qui cherche à exploser dans toutes ses possibilités.  

Et si le jardin idéal était celui qui hybride nos esprits jardiniers et une nature moins domestiquée ?


C'est que propose Kelly D. Norris, auteur américain du récent livre New Naturalism, Designing and Planting a Resilient, Ecologically Vibrant Home Garden, publié chez Cool Springs Press ce printemps. Dès que j'ai vu la sortie imminente de ce livre, j'ai voulu l'obtenir. Je savais que cette approche allait rejoindre mes valeurs et probablement les vôtres. Plongeons à travers ce livre et ses multiples ouvertures sur un monde nouveau.


La nouvelle génération de jardins

Généralement, nous paysageons et jardinons à la manière que nous pratiquons l'agriculture moderne, c'est-à-dire en ayant en tête un résultat et en utilisant tous les moyens possibles pour y parvenir et préserver ce résultat intact. On nous dit pelouse, nous voyons un tapis de graminées bien épais et vert émeraude. On nous dit plate-bande fleurie, nous voyons des fleurs et des arbustes bien taillés au garde-à-vous, et ce identiques année après année. Trop peu souvent, la nature est invitée à participer véritablement au processus créatif

La recette semble pourtant fonctionner et plaire à la majorité, alors pourquoi la changer ?  Dès le premier chapitre Kelly D. Noris met cartes sur table : «At the juncture oh horticulture and ecology, New Naturalism is a reconciliation less for virtue and more out of necessity.» Ainsi, le nouveau naturalisme* au jardin, point de confluence de l'horticulture et de l'écologie, est une réconciliation moins pour la vertu que pour la nécessité. Nous devons revisiter les raisons derrière nos manières de concevoir le jardin puisque plusieurs de nos interventions dans celui-ci sont nuisibles pour les écosystèmes et empêche le jardin de délivrer son plein potentiel.

*Malheureusement, il semble que nous n'ayons pas encore confirmé le penchant français du concept de New Naturalism. Pour les besoins, j'utiliserai donc une simple traduction mot-à-mot, soit nouveau naturalisme. 

We have to cultivate wildness by first understanding the wild lives of plants, both as individuals and as related guilds that reflect the nature of place. The results can be curious, enchanting, and beautiful.
- Kelly D. Noris

Jardin des Quatre-vents. Photo par Jasmine Kabuya Racine


Un jardin qui fait partie d'un écosystème

Le livre est divisé en 2 sections ayant chacune quelques chapitres. Dans la première section, nous sommes introduits à quelques notions d'écologie. Par exemple, nous explorons l'idée que bien que nous soyons soucieux de l'esthétisme des plantes, leurs divers autres rôles sont tous aussi importants, c'est-à-dire d'être des habitats et des sources de nourriture pour différentes espèces, autres que nous. Entre deux variétés d'arbustes florifères, pourquoi ne pas opter pour celui ayant une jolie floraison et des fruits pour les oiseaux ? 

Sureau du Canada en fleurs. Elles seront suivies par des baies comestibles pour les oiseaux et les humains (après cuisson !). Sentier Gisèle Guérin-Rémillard.
Photo par Jasmine Kabuya Racine


C'est aussi dans cette section, que Norris détaille le concept de couches ou strates (layers), lesquelles nous guident dans la manière de réaliser des combinaisons de plantes que nous percevrons comme agréables et qui s'approcheront d'un style naturel. Ces strates sont la matrice (Matrix), la structure (Structure) et les vignettes (Vignettes). En voici de brèves descriptions :

Matrice : c'est dans cette couche qu'on trouve la majorité de la végétation (jusqu'à 50% du nombre total de plantes dans le jardin) qui agit comme un liant entre les autres plantes vedettes. Cette couche peut être herbacée ou ligneuse. Elle agit souvent comme un couvre-sol limitant l'érosion et la compétition des plantes moins désirables. On pense à Stephanandra incisa, Microbiota decussata, Arctostaphylos uva-ursi, Carex spp., Sporobolus heterolepis. Conseils de Norris : vaut mieux les intégrer dès le début de l'aménagement plutôt que de miser uniquement sur le paillis et en planifier une grande quantité pour chaque espèce choisie. 

Structure : le nom le dit, ici les plantes de cette couche procurent les formes déterminantes du jardin. Les arbres et les arbustes sont parmi les plantes structurantes les plus évidentes. Toutefois certaines herbacées apportent aussi un effet de forme et de texture telles que les Eryngium spp., les Solidago sppet les Lavandula spp.. Chacune des espèces choisies sont groupées (3 à 7 par espèce) pour un meilleur impact visuel.

Vignettes : les vignettes sont à la manière des belles images prises de son jardin et de celui des autres, ces images qui nous font succomber par leur aspect magnifique qui semble avoir été orchestré dans les moindres détails. Après les refrains de la matrice, les couplets de la structure, les vignettes sont les moments uniques d'une chanson qui nous font vibrer. Norris nous incite à utiliser les plantes emblématiques d'une saison (des narcisses et iris au printemps, des heuchères et des barbe de bouc l'été et asters et anémones à l'automne, etc.). Elles marquent le temps et parent le jardin comme des bijoux. 

Jardin André-Bouchard, Salaberry-de-Valleyfield. 
Photo par Jasmine Kabuya Racine


Quand la fonction fait éclore mille possibilités  

Dans la seconde section du livre, Norris nous guide dans la création de palettes inspirées des couches discutées plus tôt. Le but avoué est de nous faire surtout réfléchir à nos choix du point de vue fonctionnel et de prendre une pause du tout-à-l'esthétisme horticole. Ainsi, les suggestions de plantes qui font bon ménage sont avant tout des options dans les catégories citées. Des tableaux simples avec des plantes pour chaque couche et par type d'ensoleillement nous aide dans nos choix. Évidemment, les magnifiques photos du livre sont autant d'inspirations qui nous donnent envie de prendre truelle sur-le-champ. 



D'ailleurs, il faut souligner à quel point le livre est splendide dans ses images. D'une couverture à l'autre, le livre est généreux en portraits, tableaux et inspirations. Toutes les ambiances sont possibles : champêtre, moderne, festive, boisée, montagneuse, feutrée, urbaine... Leur trait d'union est la complexité. Mais n'ayez crainte, elles n'exigent pas d'être esclave de son jardin ! Au contraire, le concept du nouveau naturaliste propose de devenir le gardien de communautés de plantes résilientes qui se font écho et répondent autant à nos besoins qu'à ceux des invertébrés, des pollinisateurs, des oiseaux et autres animaux

Jardin privé dans Charlevoix. 
Photo par Jasmine Kabuya Racine


Restart you garden rather than clean it up. For all the references to "cleaning up" in garden books for the last century, you'd swear gardens were dirty or sullied. While the conclusion of winter brings about a necessary period of garden work, I prefer to think of this as a restart rather than refresh. (...) Regardless of the technique or ecology, restarting the garden shouldn't be a destructive activity.  
- Kelly D. Noris

Difficile de ne pas succomber au mouvement du nouveau naturalisme quand on constate à travers ses exemples que les jardins deviennent alors enrichis dans toutes leurs dimensions. Norris sait alimenter la ferveur du jardinage en nous et faire vibrer notre fibre naturaliste. Il nous encourage à être observateur (d'où vient cette plante qui croit dans la crevasse de ma terrasse et pourquoi survit-elle si bien ?), d'essayer dans le plaisir de l'essai-erreur ("Take a deep breath; this is supposed to be fun"), à investir dans une police d'assurance en laissant vagabonder les plantes qui aiment se ressemer (des banques de semences), à incorporer de la diversité et de compter davantage sur les plantes qui répondent bien à notre site. D'ailleurs, selon Norris il n'y a pas de jardin trop petit, trop ombragé, au sol trop aride pour ne pas réussir le pari de la diversité et de la cohérence. Il nous le prouve en nous offrant de nombreux conseils et idées.

Finalement, je me suis amusée à résumer les principales différences entre le jardin conventionnel et le jardin vibrant et écologique. Voici trois grands principes à garder en tête: 

JARDIN CONVENTIONNEL VS JARDIN VIBRANT & ÉCOLOGIQUE

Jardin conçu comme un assemblage statique de végétaux  Jardin conçu comme un système dynamique 

Conception sur le court terme avec une "finalité"  Conception tel un long processus sans fin

Choix des végétaux uniquement selon ses goûts et les tendances  Choix des végétaux selon leurs fonctions, leur type d'habitat et leur esthétisme


En somme

Ce livre fera définitivement partie de mes préférés, ceux dans lesquels je reviens régulièrement m'abreuver d'idées. Coup de coeur pour l'idée de Wild Container Gardening qu'on pourrait traduire de "jardinage en pot débridé" où les mauvaises herbes peuvent être mises en valeur aux côtés de nos annuelles favorites dans un contenant des plus sophistiqués ou pas. Quelle idée lumineuse ! Coup de coeur définitif pour avoir su transposer en recommandations claires et souples le concept de nouveau naturalisme pour monsieur-madame-tout-le-monde. Finalement, coup de coeur pour les photographies léchées et convaincantes. 

Petite déception : le livre est principalement axé sur les vivaces et les annuelles et trop peu sur les végétaux ligneux. Autre petit bémol, il n'est disponible qu'en anglais... En espérant qu'il sera traduit en français un jour ! Il n'en demeure pas moins que les explications de Norris sont faciles à comprendre pour quiconque maîtrise un peu l'anglais. Heureusement, les tableaux sur les végétaux appropriés selon le type de site  sont garnis de noms latins, lesquels sont universels. Et les images... eh bien, elles parlent d'elles-mêmes !


New Naturalism, Designing and Planting a Resilient, Ecologically Vibrant Home Garden
par Kelly D. Norris
Cool Springs Press
206 pages
Prix suggéré : 39$ CAN



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