Des vedettes qui passent inaperçues

Il y a toutes sortes de bonnes raisons d'adopter la flore indigène. Pour moi, l'une des raisons qui prime avant toutes les autres, c'est la façon qu'elles ont de me faire sentir chez moi. J'ai en tête ce moment où déboussolée d'un frais retour d'Australie, j'ai vu par la fenêtre du train qui me ramenait à ma ville natale des verges d'or. La vue de ces belles têtes dorées a été ma première ancre: elles faisaient partie du paysage de ma mémoire. Semblable fait vécu: cela faisait des semaines que depuis l'État de la Géorgie mon conjoint marchait vers le Maine sur le Sentier des Appalaches, quand il vit enfin son premier bouleau. Ah! Jamais il n'aurait pensé que la vision de cet arbre le ferait instantanément sentir près de chez lui. Ce sentiment ne vous est probablement pas étranger.

Je crois avoir bien identifié cette verge d'or qui croissait dans un sous-bois dans le parc régional des îles de Saint-Timothée. Il s'agirait de la verge d'or bleuâtre (Solidago caesia). Sa floraison automnale qui dure jusqu'en novembre et sa délicatesse devraient conquérir plus de jardiniers. 
Malgré cet élément rassembleur, la reconnaissance d'un milieu végétal auquel sont attachés maints souvenirs, savons-nous si bien qui sont ces habitants indigènes et savons-nous les apprécier? Instinctivement, je dirais non aux deux questions. Je constate bien souvent que les gens autour de moi sont inconfortables avec l'identification des plantes indigènes, même les plus communes. Leur présence timide dans nos jardins (certaines s'essayent à s'introduire sans invitation et tente de passer inaperçues, sinon zcouic! c'est l'arrachage presque assuré) indique aussi qu'elles sont méconnues pour leur capacité à embellir et à jouer des rôles bénéfiques dans des coins spécifiques de nos terrains. À trop les voir dans leur «état naturel», peut-être qu'on les voit moins pour ce qu'elles sont?
Viorne trilobée (Viburnum triloba) un arbuste indigène attrayant et nourrissant. Une plante dont on pourrait abuser dans un peu plus dans nos aménagements.

Viorne trilobée (Viburnum triloba).
Par chance, plusieurs personnes travaillent à prescrire la flore indigène pour la santé de nos jardins. D'emblée, je pense à Isabelle Dupras, architecte paysagiste et présidente directrice de la pépinière Horticulture Indigo, qui en fait la promotion depuis plus de deux décennies! Elle a d'ailleurs mérité le prix Henry-Teuscher 2013 pour l'impact exceptionnel de son travail (prenez le temps de lire son allocution dans le dernier lien, vous comprendrez pourquoi elle mérite ce prix).
Smilacine à grappe (Smilacina racemosa). Que diriez-vous d'une plante attrayante durant trois saisons pour un coin ombragé de votre jardin?
L'auteure canadienne Lorraine Johnson, une autre avocate des plantes indigènes, signait récemment l'article «Optimizing your native plant option» dans le dernier numéro du magazine Garden Making (no 15). L'auteure y suggère 10 plantes vedettes à essayer en plus d'en nommer quelques dizaines d'autres qui s'accommodent de conditions plus difficiles de nos jardins tels l'ombre sèche et l'acidité d'un sol. Parmi les 10 vedettes, l'apios d'Amérique, mieux connu sous le nom charmant de patates en chapelet, y figurait. Sa description me donnait le goût de la dénicher: plante volubile, rhizome formant des tubercules comestibles, floraison estivale originale et parfumée et croissance rapide au soleil et à la mi-ombre. 

Ayant donc renoué avec sa description et revu son aspect, j'étais donc apte à trouver ladite plante...un jour! Il ne fut pas long avant que celui-ci n'arrive. Peu de jours après ma lecture, je marchais sur le sentier principal dans le parc régional près de chez moi. Soudain, un parfum subtil dans l'air m'a arrêtée. En m'approchant de la lisière de la forêt, j'ai alors aperçu cette grappe de fleurs entre le vieux rose et le marron. C'était elle!
Fleur en vue! C'est Apios americana
En s'éloignant, on ne voit qu'un grand fouillis de feuilles tenues par de longues tiges volubiles.

Une seconde talle qui enveloppe des arbustes.



Étrangement, Marie-Victorin n'est pas très bavard sur l'utilisation passée de la plante. C'est dans Botanica North America, de Marjorie Harris, que j'ai eu accès à une description plus complète de ses usages. Le tubercule de cette membre des légumineuses a été une nourriture essentielle pour les colons européens, les Amérindiens leur ayant montré comment le récolter. Le goût de l'apios a été décrit par maintes personnes célèbres, dont Pehr Kalm et Samuel de Champlain, mais aucune description n'est commune! Le tubercule aurait donc la saveur soit de champignon, d'artichaut, de patate, de panais ou de truffe... Désolée, je ne peux confirmer, car j'ai préféré garder le petit tubercule déterré pour le planter et non pour le manger!

Autrefois si populaire comme nourriture, aujourd'hui bien oubliée. Pourtant, dans Walden, Henry David Thoreau s'était fait très enthousiaste face à l'avenir de la patate en chapelet, ce qui ne s'est finalement pas encore concrétisé souligne Harris. Peut-être que le renouveau de la cueillette des plantes sauvages verra l'apios à notre menu?

Impatient de la trouver? Horticulture Indigo la vend en ligne ici.
***
Mon plus grand garçon expérimente la forêt.
Continuons sur la piste des plantes indigènes et accueillons au passage la flore naturalisée. Quoi de mieux pour s'initier ou pour enrichir notre savoir que de lever le voile sur des plantes aux personnalités attachantes! Je vous enjoigne de savourer Secrets de plantes 2 de Fabien Girard, livre dont toutes les plongées m'ont fait oublié l'agitation des enfants autour de moi. Biologiste de métier, M. Girard est un fervent transmetteur du génie des plantes. Sans avoir lu le premier tome, je peux dire que l'ouvrage est d'une richesse étonnante. S'il existe plusieurs guides sur la flore, celui-ci a de particulier qu'il révèle de nouvelles explications aux vertus des plantes abordées et les insère dans notre quotidien. Son analyse chimique de la feuille de l'agastache fenouil divulgue la présence de l'estragol, composé présent chez l'estragon; la gentiane devient un prétexte pour parler d'amertume et de ses bienfaits sur notre absorption du fer et la vitamine B12; le lierre terrestre, cet «envahisseur» des gazons, s'invite dans sa recette d'herbes salées (je l'ai essayée!); il nous promet l'exotisme rien qu'en froissant les feuilles de l'eupatoire maculée d'où s'échappent des parfums de mangue alors qu'un verre de cocktail d'aiguilles de sapin nous rappellerait un jus d'agrume et de fruits tropicaux; l'auteur nous apprend que l'aubépine commune capte l'argent et le cuivre et qu'il n'est pas recommandé d'en brûler les bûches dans son foyer sous peine de provoquer un incendie!


Alors que l'auteur habite la région du Lac Saint-Jean, les espèces exclusivement boréales ne sont pas les seules représentantes du livre, comme ma brève énumération le suggère. Plusieurs représentantes de nos pelouses, jardins, lisières, champs et sous-bois des régions plus au sud y figurent. Ce livre est une belle porte d'entrée au monde des plantes et vous n'aurez pas à marcher longtemps avant de croiser l'une des plantes vedettes dont il dévoile quelques secrets.

Aussi, si d'aventure vous vouliez vous plongez dans l'ambiance boréale du Lac Saint-Jean, Fabien Girard propose depuis peu des activités en lien avec la découverte végétale. Dans sa maison de campagne à Albanel, il offre entre autres des dégustations, met à la disposition du public un microscope pour observer des structures végétales hors du commun (par exemple, des gouttelettes d'huile essentielle de myrique baumier cristallisées sur les parties externes de sa graine) et présente dans un coffret toutes les familles moléculaires organiques des nos plantes boréales, résultat de cinq années de labeur. Bref, une sortie touristique qui, comme le livre, ne manque pas de surprendre.

Secrets des plantes 2
Fabien Girard
Éditions JCL
août 2013
Prix papier: 28,95$ Prix format PDF:20,99$
Pour contacter l'auteur: 418-218-0099 ou cliquez sur son nom pour le joindre par courriel.

Commentaires

  1. Bravo pour cet article. le problème, c'est que tu me donnes envie de cultiver chez moi, en France, tes plantes indigènes.
    Juste au moment où je m'apprête à parler des belles "étrangères" qui deviennent envahissantes et colonisent tout autour d'elles...
    Que faire?
    En tous cas, j'espère que les soucis dont Lina nous fait part vont rentrer dans l'ordre. Je fais suivre à mes amis.
    Bises des montagnes

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    Réponses
    1. Salut la Fourmi,

      Les étrangères des uns sont les exotiques des autres! Ta flore magnifique des Pyrénées me fait la même envie!

      Les plantes étrangères trop entrepreneures sont problématiques partout dans le monde! Il faut soit voir leurs bons côtés, soit limiter leur envahissement, ce qui n'est pas toujours une mince tâche selon le cas!

      Oui, mes soucis de nom de domaine se résorbent tranquillement... mais il faudra plusieurs mois j'imagine pour que le site retrouve sa position initiale sur les moteurs de recherche! Toute propagation de mon site est bienvenue. Merci beaucoup donc ma chère pour ta collaboration!
      À bientôt!

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