La flore urbaine, manifeste de la diversité de nos villes
S'il existe plusieurs guides sur la flore du Québec, peu d'entre eux, pour ne pas dire aucun, explorent de façon dirigée la flore du milieu dans lequel nous évoluons en très grande majorité, c'est-à-dire la ville. Roger Latour a comblé cette "niche écologique" inexploitée et nous a ouvert la porte sur cette communauté luxuriante par le biais de son Guide de la flore urbaine. Pour cet ouvrage, l'auteur aura porté tous les chapeaux, ceux du vulgarisateur botanique et horticole, du photographe, du concepteur visuel et j'oserais ajouter de l'humoriste!
"La flore urbaine souffre d'un double handicap. D'une part, nous les humains sommes ordinairement aveugles aux plantes (elles font trop partie du décor!) et d'autre part, nous croyons qu'il n'y a pas de vie dans ce milieu stérile et pollué qu'est une agglomération urbaine. Il semble bien que le double handicap de la flore urbaine ne soit le reflet de notre double aveuglément!"
La délicate capselle bouse-à-pasteur ( Capsella bursa-pastoris)
environnée d'asphalte et de béton.
Par Roger Latour
Le livre a le mérite de nous révéler les beautés de ces plantes que l'on piétine, arrache, méprise ou ignore. Terrains vagues, craques de trottoirs, bas d'escaliers, pieds de murs, clôtures de treillis, sous-bois de ruelles, bacs à fleurs abandonnés, chemins de fer, tous ces endroits attendent qu'on s'accroupisse ou qu'on lève du nez pour observer la diversité fascinante qu'ils recèlent, soit des plantes héroïques aux personnalités épatantes.
"Au coeur de la ville, on trouve surtout des plantes de petites tailles ou étalées et peu voyantes. Elles échappent ainsi à l'attention des équipes d'entretien. Leur discrétion extrême est un gage de survie! Elles colonisent le milieu urbain jusqu'au centre-ville. Elles n'ont besoin que de peu et elles savent le trouver."
Comme il est agréable de changer nos lunettes à travers les 80 premières pages du guide! Il s'agit d'une introduction qui nous balade entre écologie urbaine, histoire et recommandations pour réussir des "sorties botanisantes". Il faut noter que la plume de Latour est exceptionnelle et que la façon qu'il glisse sa culture générale étendue est savoureuse. Puis, vient le catalogue qui présente les espèces les plus populaires par famille. Si pour certains ce mode de présentation ne permet pas de se retrouver toujours facilement, il a l'avantage de nous obliger à feuiller le livre au complet et de découvrir familles et espèces méconnues!
Les planches sont superbes et démontrent le talent évident de Latour en photographie, mais aussi en conception visuelle. Une seule planche peut exposer la plante sous sa forme générale, ses feuilles, ses tiges, ses graines, ses fleurs sous divers angles. Difficile de pas réussir à reconnaître la flore avec autant d'aspects présentés. Cet été pas besoin de s'aventurer bien loin pour être dépaysé, on glisse le Guide de la flore urbaine dans son sac à dos et on arpente les rues de notre ville pour faire connaissance avec une nature exubérante et parfois inusitée!
Je vous propose la lecture d'une petite entrevue réalisée avec l'auteur. Faites donc plus ample connaissance avec ce naturaliste des temps modernes!
L'auteur à gauche indique la longueur de la
carotte sauvage durant une visite guidée au Champs des Possibles.
Par Emily Rose-Michaud.
D'où vient cette passion pour le monde naturel?
J'ai grandi à Repentigny, dans le temps qu'elle était campagne. La nature était donc omniprésente à commencer par cet ours qu'un fermier gardait en captivité dans une cage et qui s'est échappé à deux reprises! Une chance que les papas se sont décidés à l'abattre avant que l'un de nous (nous étions une trentaine d'enfants dans le coin) passions sous ses griffes...
Autour de chez moi, il y avait de tout pour éveiller ma curiosité: un ruisseau, une forêt, un gros saule noir qui était mon ami. Il y avait surtout mon amie l'aubépine qui possédait une forme extraordinaire: son tronc épousait parfaitement mon dos, je pouvais m'y lover.
Toute mon enfance est ponctuée d'images. Moi, couché sur le ventre sur le bord du chemin à observer une Spiranthes lacera. La première fois que j'ai vu un nid de fauvette dans l'herbe haute. Adolescent avec mes collections de cactus de plantes grasses.
Spiranthes lacera
par Roger Latour
Des informations inédites ou peu dites sur ton guide Flore urbaine?
Ce livre représente 2 ans 1/2 de travail, à raison de 6 jours semaine! Outre les photos, le guide contient 200 planches botaniques originales.
Pourquoi as-tu choisi de classer les plantes par famille dans ton guide?
Ah! Pour faire la promotion de la botanique! Je voulais que le public constate les liens de parenté entre les espèces d'une même famille. Bien des gens connaissent les arbres, mais peu savent que ce sont les fleurs qui les distinguent.
Tu travailles présentement sur un nouveau projet, Stabat Arbor. Quelle forme aura ce livre?
Ce sera un grand album sur les arbres. Je le veux très riche visuellement et porté à la fois sur la botanique, les notions culturelles, nos usages et nos représentations qui passent autant par le religieux que par l'industriel. Stabat Arbor sera dont un grand panorama présentant l'éventail de nos relations avec les arbres. Tantôt je raconterai l'histoire d'une seule espèce, tantôt je peindrai le portrait d'un genre.
Du côté des planches, il y aura beaucoup de plans rapprochés afin de mieux observer les détails des fleurs ou pour remarquer les variations dans la coloration des feuilles à travers les saisons. On verra aussi la maturation des organes, depuis la floraison jusqu'aux fruits. Autre aspect intéressant, j'ai ajouté des gros plans des habitants des arbres, que ce soit des galles sur les feuilles, ou des insectes sur l'écorce.
L'album sera accompagné d'un guide terrain pour l'identification, qui comprendra des dessins et des photos. Débuté en 2005, Stabat Arbor exige de moi de la rigueur et donc beaucoup de recherches et d'excursions, mais je tiens à donner une bonne piqûre sur les arbres!
Combien d'espèces couvrira le guide?
Environ une centaine d'espèces indigènes, mais aussi quelques variétés horticoles plus communes et parfois surprenantes! J'ai rencontré des espèces qui étonnamment, survivent très bien en ville. Par exemple, j'ai fait la rencontre d'un gainier du Canada (Cercis canadensis) qui avait pignon sur une rue passante. À l'oratoire St-Joseph aussi il y a une belle collection d'arbres, dont certains apparentés au genre du sorbier (Sorbaria spp). La ville regorge de spécimens originaux plantés par des horticulteurs allumés valant la peine d'être connus.
Cercis canadensis
par Roger Latour
par Roger Latour
Justement, une plante urbaine qui te fascine à tout coup?
Le plantain! J'adore simplement la forme du feuillage, sa fleur extraordinaire... Je l'ai rencontré sous forme de spécimen dodu avec des feuilles atteignant 10 pouces de longueur et à d'autres moments, je le retrouve, maigrichon, survivant entre deux fissures de trottoir. Étonnamment, il sert de garde-manger à de nombreux oiseaux. Pour la majorité des gens, il s'agit d'une plante ordinaire. Pour moi, c'est une plante épatante par son exotisme discret et sa générosité.
J'aime aussi la cerise de terre (Physalis alkekengi) qui se retrouve dans des endroits improbables dans la ville. J'ai un faible aussi pour la vigoureuse verveine de Buenos-Aires (Verbena bonariensis) aussi, qui a profité de notre engouement pour s'échapper rapidement dans notre milieu urbain.
Crois-tu qu'on abuse du terme plante envahissante?
Oui. Peu de plantes sont véritablement problématiques, pas par elles-mêmes. Ces plantes dites envahissantes profitent en fait de nos perturbations. On assiste parfois à une démonisation.
L'herbe à poux, doit-on la démoniser?
Je comprends les gens qui subissent ses allergies, car ce n'est vraiment pas drôle. Pourtant, la plante est une pauvre compétitrice: on la retrouve bien où nos pas se font, mais pas dans les champs. Son endroit de prédilection est les espaces bien dégagés. Je crois qu'il faut tout de même la contrôler, mais en ce moment, on n'a pas de procédure très réaliste.
Tes suggestions pour découvrir la flore des milieux urbains à Montréal?
Je vous suggère un endroit épatant totalement perdu, méconnu et sous-estimé. Le genre d'endroit où National Geographic pourrait faire un reportage! Il existe cette immense friche industrielle à l'est de la rue Viau, pas loin du port et des gares de triage de train. Ce que j'y ai vu m'a laissé pantois. Sur ces sections abandonnées, certaines depuis 40 ans, on y retrouve un mélange de flores urbaines qui ne ressemblent à rien. Des friches en transition, des arbres-pionniers, des micro-habitats, des espèces d'oiseaux très rares. Tout ça, avec une vue sur la tour olympique.
Franchement, il y a de belles leçons d'écologie à faire dans cette Amazonie de l'est!
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Suivez les péripéties de Roger Latour sur son blogue Flora Urbana. Découvrez ici quelques dessous du livre pour ne pas dire une partie du labeur qui se cache derrière le Guide de la flore urbaine!
je trouve toute flore intéressante, même si on dit de certaine qu'elles sont envahissantes.
RépondreEffacerBonjour France!
EffacerC'est vrai que certaines plantes ont un désir de vivre qui se répand bien aisément pour nos petits jardins! Par contre, on salue leur vigueur quand il s'agit d'habiller béton, asphalte et autres endroits dans la ville dénués de vie ou trop monotones dans leur conception.
Merci du commentaire et à bientôt!